Quatre associations représentant plus de mille grandes entreprises européennes utilisatrices de technologies numériques, le Cigref (France), Beltug (Belgique), CIO Platform Nederland (Pays-Bas) et Voice (Allemagne) viennent d’envoyer un courrier à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ainsi qu’à plusieurs responsables politiques français et européens.
Motif de leur colère : « les comportements inacceptables » de Broadcom au sein de l’Union européenne, concernant les produits de VMware, une entreprise dont la multinationale américaine a fait l’acquisition en 2022 pour 61 milliards de dollars.
Reprenant, une pratique, semble-t-il déjà mise en œuvre lors de ses précédents rachats d’entreprise, Broadcom a modifié l’offre diversifiée de VMware, jusque-là celle d’un vendeur au détail de logiciels d’infrastructures pour telle ou telle spécialité, pour en faire une offre globale, commercialisée sous la forme d’un abonnement mensuel, à un coût beaucoup plus élevé que précédemment.
Les produits les moins rentables ont été retirés du catalogue et Broadcom a par ailleurs résilié tous les anciens partenariats de VMware avec ses revendeurs historiques, supprimant ainsi la possibilité de contrats commerciaux plus avantageux. Profitant de sa position dominante, et ne vendant qu’aux très gros clients, Broadcom développe ainsi une stratégie qui se déploie au détriment des acteurs de moindre importance et les met économiquement en danger.
Les signataires du courrier souhaitent ainsi alerter la commissaire européenne sur le hold-up d’une quinzaine de milliards d‘euros au moins que Broadcom s’apprête à commettre, en imposant des licences logicielles abusives, au détriment de l’économie européenne.
Une telle situation est en effet inadmissible et j’ai donc interpellé la ministre à travers une question écrite. Le gouvernement doit se positionner clairement sur de tels comportements et appuyer le Cigref dans sa démarche. Tolérer les pratiques de Broadcom, c’est ouvrir la porte à d’autres éditeurs qui pourraient être tentés de procéder de la même façon.
Mais au-delà du respect des règles commerciales, ce nouvel épisode des méfaits du gigantisme souligne là encore la nécessité pour l’Europe de développer une offre industrielle qui la mette à l’abri des diktats des acteurs dominants et de favoriser l’émergence de solutions européennes.
Au risque de passer pour Cassandre, rôle frustrant s’il en est, je dois rappeler que dans le rapport d’information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne » que j’ai rendu en juin 2021 - trois ans déjà – j’ai alerté sur les conséquences désastreuses que constituent notre dépendance technologique au bon vouloir de géants étrangers.
J’avais attiré l’attention sur le fait que le risque, loin de n’être que géostratégique, était aussi économique : certains fournisseurs sont ainsi en capacité de faire la pluie et le beau temps en jouant sur les prix et le niveau des spécifications techniques. L’exemple Broadcom - VMware, en est la parfaite illustration.
Philippe LATOMBE